La curieuse fragilité des êtres.

La série «Histoires Naturelles» de Juliette Bates nous raconte une histoire, celle d’un personnage anonyme, dont nous ne découvrons au fil des images qu’un fragment de visage ou les mains délicates, nous tournant obstinément le dos, nous invitant mais, toujours, nous évitant.
Ce personnage est un collectionneur, un classificateur, un arrangeur, qui tente de comprendre et de défier le cours inexorable de la vie. Cette silhouette androgyne et fantomatique, enveloppée de velours noir, nous convie à une quête tranquille mais impossible. À travers ses recherches et ses échecs, c’est aussi à un questionnement sur notre fragile et instable condition d’être humain que nous invite la photographe.
Ce voyage nous entraîne des falaises de craie normandes à des sous-bois brumeux, deux natures fascinantes mais inquiétantes. Dangereusement belles, les côtes blanches et abruptes ne font face qu’à la mer, ne connaissant comme limite que l’horizon, et comme combat que celui contre le vent et les éléments. Séduisante et enveloppante, la forêt ensorcelle les esprits, fait perdre les sens, accueille mais désoriente, embrasse mais étouffe. Face à ces lieux à la fois familiers et hostiles, notre guide ne nous apparaît que plus seul et vulnérable, ridiculement petit face aux flots et à la pierre, perdu au milieu des branches et des troncs qui refusent leur hospitalité.
Nous avons le sentiment qu’il est obligé de fuir cette nature qu’il ne comprend pas pour tenter de trouver refuge dans l’ordre et le classement, la précision et l’organisation. Manipulant l'animal et le végétal comme des objets, des jouets ou encore des ornements, tendre mais maladroit, il se trompe et échoue à capturer et dompter le souffle de la vie. Il ne peut que reconstituer sous des globes de verre de petits microcosmes charmants et précieux, mais vains. Ces mises sous cloche absurdes sont une façon de préserver, bien que tristement, ce qu'il est en train de bouleverser, de fragiliser. Immobiles et silencieux, les animaux que ce naturaliste rêveur a collectés restent figés et impassibles, indifférents.
Il y a un peu de l’oppressant silence des intérieurs de Vilhelm Hammershøi dans les clichés de Juliette Bates, l’espace faussement banal d’une pièce nous laissant présager à tout moment un drame imminent. Il y a aussi de cette inquiétante étrangeté freudienne et romantique, cette cassure dans le quotidien et le familier, où les objets les plus simples nous font douter et basculer dans l’irrationnel et l’angoisse de l’inconnu.
À la manière des vanités qui, en peinture, transmettaient des mises en garde concernant la vie et son éphémère réalité, Juliette Bates adresse-t-elle un message à son spectateur ? S’opposant cependant à la luxuriance des natures mortes d’autrefois, la photographe compose des images d’une rigoureuse sobriété, où chaque élément semble pensé et disposé dans une recherche graphique obsessionnelle et un jeu de lumière tout en douceur et transparence. Chacune de ses images repose également sur une profonde dualité entre l'ombre et la lumière, à la manière de la silhouette sombre de l’entomologiste qui s’impose avec force dans ces intérieurs diaphanes. Ces oppositions et contradictions sont au cœur même de l’esthétique de la série, et nous parlent de l’équilibre fragile entre vie et mort, de notre condition humaine, funambule toujours à la frontière entre obscurité et clarté. Juliette Bates navigue entre la réalité et le rêve, utilisant toute la poésie de sa photographie pour éveiller une réflexion sur les hommes et la nature, sur notre besoin de dominer et de contrôler ces êtres qui nous sont autre. Juliette Bates évite tout anthropocentrisme, et laisse une part égale à l'animal, au végétal et à l’humain qu’elle met en scène.
La photographe déjoue constamment le drame de l’existence et de la disparition grâce à un humour salvateur, dans des mises en scène volontairement enfantines, quelques bulles de savon venant parfois envahir les images comme par jeu.
Dédramatiser afin d’interpeller ? En guise de conclusion, comme un clin d’œil au spectateur, elle nous enjoint non pas à méditer sur notre mort prochaine et inéluctable (Memento Mori), mais plutôt à nous souvenir de vivre (Memento Vivere), et de laisser vivre.

Floriane Herrero

The curious fragility of beings.

 The « Histoires Naturelles » series, by Juliette Bates, tells us a story of an anonymous character, who we only discover through fragments of images of a face or delicate hands, but who invites us, and at the same time, avoids us.
This character is a collector, a classifier, an organizer, who tends to understand and defy the inexorable circle of life. The spectral and androgynous figure, wrapped in black velvet, takes us on a calm but impossible quest. Through these searches and failures, the photographer possibly invites us to question our own fragile and unstable human condition.
This journey leads us from Norman chalky cliffs to misty woodlands – two fascinating but disturbing environments. Dangerously beautiful, the white and abrupt shores are facing the sea, with the horizon as the only limit, and its only battle with the wind and elements. Attractive and enveloping, the forest bewitches minds, makes us lose our senses, welcoming and disorientating, embracing but smothering. In front of these familiar but hostile landscapes, our guide seems even lonelier and vulnerable, ridiculously small facing waves and stone, lost in the middle of inhospitable branches and trunks.
We have the feeling he is forced to flee this Nature he does not understand and find shelter among order and classification, precision and organization. Manipulating fauna and flora as objects, puppets or ornaments. Tender but clumsy, he makes mistakes, fails to catch and control the breath of life. He can only recreate little microcosms under glass domes, charming and precious, but vain. Setting these fragments of nature under bell jars is a way of preserving what he is upsetting and weakening. Immobile and silent, the animals collected by the dreamy naturalist stand still and stone-faced, as if indifferent. 
There is a little of Vilhelm Hammershøi's silent and oppressing interiors in the pictures of Juliette Bates ; the deceptively common rooms lead us to predict an imminent tragedy. There is also of the Freudian and Romantic “Uncanny”, like a break in the everyday and the familiar, where the most simple objects make us doubt and fall into an irrational fear of the unknown.
In the same style as vanitas, where painting relayed warnings about life and its ephemeral reality, Juliette Bates seems to pass on a message. Contrary to the luxurious still lives of the past, the photographer's compositions are rigorously minimalist. Each element seems thought through and placed with an obsessive graphical precision, all in soft and transparent lighting. Every image is based on a duality between light and shade, as the dark entomologist's silhouette imposes itself with strength in these pale interiors. In this series, oppositions and contradictions are at the heart of the aesthetic, telling us about the delicate balance between life and death, our human condition, swaying from daylight to darkness. Juliette Bates navigates between dream and reality ; all the poetry in her photography awakens a reflection about humans and nature, about our need for domination and control of other beings. Juliette Bates avoids anthropocentrism, staging fauna, flora and humans as equals in her photographs.
The photographer constantly steps aside the drama of existence and of disappearance, thanks to a salutary humor, using voluntarily childish set ups. Bubbles are sometimes invading the images, as if we were in a game.
Play down in order to question ? As a conclusion, and as if she was suggesting a message to the viewer, the photographer invites us not to meditate upon our imminent and inescapable death (Memento Mori), but to remember to live (Memento Vivere), and to let live.

Floriane Herrero
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